SUCCESSION WILDENSTEIN : LE NOTAIRE PANHARD JUGE EN CORRECTIONNELLE POUR « COMPLICITE DE FRAUDE FISCALE »
Un correspondant nous signale cet article paru dans Challenges le 4 janvier :
Extraits :
« Procès Wildenstein : quand les conseillers fiscaux sont visés par les juges.
Par David Bensoussan
Un notaire et deux avocats sont accusés d'avoir aidé le marchand d'art à frauder. D'autres de leurs confrères ont été mis en cause dans les affaires HSBC et Wendel.
C'est un procès hors-norme qui s'ouvre ce lundi au tribunal correctionnel de Paris pour plus de trois semaines. Le principal accusé, Guy Wildenstein, membre influent et richissime donateur de l'UMP (devenu Les Républicains), proche de Nicolas Sarkozy, est le fils de Daniel Wildenstein, l'un des plus grands marchands d'art du XXème siècle. Les juges lui reprochent d'avoir minoré la déclaration de succession de son père. Il devrait subir, avec les autres héritiers, un redressement fiscal record de 550 millions d'euros.
Mais Wildenstein n'est pas seul sur le banc des accusés : à ses côtés figurent aussi Robert Panhard, l'ex-président de la chambre des notaires de Paris, l'avocat Olivier Riffaud et son confrère suisse Peter Altorfer. Un véritable séisme dans le monde feutré des professionnels du droit. Déjà, au cours des derniers mois, plusieurs d'entre eux ont été mis en cause dans les affaires HSBC et Wendel. Un phénomène inédit qui ne doit rien au hasard. Les conseillers fiscaux sont désormais clairement dans le viseur des pouvoirs publics et des juges financiers.
Le cas de Robert Panhard est symbolique. L'héritier de la célèbre dynastie automobile a récemment été reconduit comme président du vénérable Automobile Club de France. C'est lui qui a préparé la déclaration de succession de Daniel Wildenstein. Or, cette dernière mentionnait un patrimoine d'à peine 44 millions d'euros, omettant d'inclure des propriétés au Kenya et dans les Iles Vierges, des chevaux ou encore des centaines de tableaux de Fragonard, Bonnard, Courbet ou Picasso, qui étaient dissimulés dans des trusts à Guernesey et aux Bahamas. Au total, le fisc estime que les Wildenstein auraient dû déclarer au moins 616 millions d'euros, selon l'ordonnance de renvoi du juge, déjà révélée par Challenges.
Complicité de fraude fiscale :
Le juge Guillaume Daïef a donc décidé de renvoyer Panhard en correctionnelle pour complicité de fraude fiscale au motif « qu'il connaissait le fonctionnement anormal de ces trusts et le risque fiscal en résultant ». Sa défense souligne qu'il n'a pas signé la déclaration et qu'il a suivi le débat sur la gestion des trusts en simple spectateur. Pour autant, Panhard avait conscience des risques pris. Dans une note personnelle saisie par les enquêteurs, il écrit : « autre souci : trusts ont fonctionné n'importe comment. Il y a une certaine confusion des patrimoines du trust et de Daniel Wildenstein. (…) Trusts pourraient être considérés comme fictifs. »
Quant à Olivier Riffaud, il a déjà passé plusieurs semaines à la prison de Fresnes, faut de pouvoir payer sa caution à temps. Cet ex-inspecteur des impôts devenu avocat est poursuivi pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Notaire au moment des faits, il effectuait des missions de conseil pour les Wildenstein. Le juge lui reproche d'avoir aidé Alec, le frère de Guy, à puiser dans les trusts sans révéler leur existence au fisc et ainsi cacher l'origine de certains revenus, notamment « en apportant des justifications mensongères à ces arrivées d'argent par de fausses conventions de prêt et par de fausses factures. »
Panhard et Riffaud risquent gros si l'on se base sur la sévère condamnation prononcée dans l'affaire Arlette Ricci en avril 2015. L'héritière de la maison de parfums Nina Ricci figurait sur la liste HSBC des détenteurs de comptes non déclarés en Suisse. Elle a été condamnée pour fraude ainsi que pour l'organisation frauduleuse d'insolvabilité. Suite à la médiatisation de la liste en 2009, elle s'est installée en Suisse et a voulu mettre ses maisons françaises à l'abri du fisc. Son avocat, Henri-Nicolas Fleurance, cofondateur du cabinet réputé De Gaulle Fleurance et Associés, a donc imaginé une sorte de « vente à soi-même » par le biais de sociétés civiles immobilières au nom de Ricci et de ses enfants. De quoi compliquer les saisies pénales.
Selon Fleurance, ce montage, légal, visait à réduire l'impôt sur la fortune et à préparer la transmission des biens. Il assure qu'il ne connaissait pas l'existence des comptes en Suisse. Mais sa version n'a pas convaincu le tribunal. « Henri-Nicolas Fleurance, avocat d'affaires expérimenté en ingénierie fiscale, a franchi les limites, qui n'ont rien d'obscur pour un professionnel averti du droit, qui séparent l'optimisation fiscale de l'organisation d'insolvabilité, la mission de conseil de la complicité de délit fiscal », assène le jugement.
Un tournant pour les avocats :
L'avocat, qui a fait appel, a été condamné à un an de prison avec sursis. Surtout, il est tenu solidairement responsable avec Arlette Ricci du paiement des impôts fraudés et des pénalités, soit la bagatelle de 10,5 millions ! Du jamais vu. « Au-delà de ma situation personnelle, ce jugement est inquiétant et marque un tournant pour les avocats en créant une présomption irréfragable de culpabilité dès lors que leur client sera poursuivi pour fraude », a déploré Fleurance auprès de l'Agefi.
Autre affaire médiatique qui implique un fiscaliste : le dossier Wendel. En novembre 2015, le parquet a demandé le renvoi en correctionnelle pour fraude fiscale des anciens dirigeants du groupe, dont Ernest-Antoine Seillière et Jean-Bernard Lafonta. En cause : un montage financier hyper complexe baptisé Solfur, qui a permis à 14 cadres de se partager plus de 300 millions d'intéressement à partir de 2007. Ces acrobaties pourraient aujourd'hui leur valoir un redressement d'au moins 200 millions d'euros.
Les cadres détenaient, à l'époque, des actions Wendel à travers une société créée pour l'occasion, la Compagnie de l'Auton (CDA). Le montage devait permettre que les gains issus des titres ne soient pas versés sous forme de dividendes taxés comme des salaires, mais assimilés à des plus-values imposées plus favorablement. Les actions ont été logées artificiellement dans des sociétés civiles pour bénéficier du mécanisme du « sursis d'imposition », qui permet de ne pas payer tout de suite des impôts si les plus-values sont réinvesties. Objectif : gagner du temps et épuiser le délai de prescription afin que le fisc n'ait plus le droit d'engager des poursuites.
Vent de panique chez les professionnels :
Là encore, ce montage est en théorie légal mais a été dévoyé selon le parquet, qui a donc demandé le renvoi en correctionnelle pour complicité de Pierre-Pascal Bruneau, avocat au célèbre cabinet américain Debevoise et Plimpton. Selon le réquisitoire que Challenges a pu consulter, « l'intervention de Pierre-Pascal Bruneau a permis tout à la fois d'élaborer et de mettre en œuvre le schéma litigieux mais également de lui donner une apparence de légalité sous couvert de recommandations formulées par le cabinet Debevoise dans des termes contraires à la réalité de ses échanges avec les associés de CDA. » La banque JP Morgan, qui a servi de pivot aux flux financiers du montage, est aussi poursuivie.
Les affaires impliquant des professionnels du droit se multiplient, notamment depuis la création du parquet national financiers en mars 2014. « Il faut pouvoir attaquer plus fortement les avocats, conseillers fiscaux et financiers », a encore martelé la Garde des Sceaux Christiane Taubira, lors d'une conférence de presse commune avec le ministre des Finances, Michel Sapin, dédiée à la lutte contre la fraude fiscale, le 15 décembre 2015. De quoi faire souffler un vent de panique au sein de la profession.
Inquiet, l'ordre des avocats de Paris avait d'ailleurs organisé une conférence en juin 2015, intitulée « avocats fiscalistes et risques pénaux ». Il déplorait « un climat de suspicion » et la multiplication des perquisitions, « utilisées comme une technique de pêche à filets dérivants visant à rechercher si par hasard l'avocat n'aurait pas des informations sur une infraction en cours voire quelque manquement à se reprocher. »
Contrairement à leurs confrères du pénal, il n'existe pas de véritable protection des échanges entre les fiscalistes et leurs clients. « Il n'est pas aberrant que les juges cherchent à savoir si des avocats ont favorisé la fraude, concède Eric Ginter, du Cabinet Hoche. Mais ce qui est choquant c'est qu'ils aient de plus en plus accès aux échanges écrits avec nos clients, parfois sortir de leur contexte pour étayer l'accusation. »